Confidences de Frédéric Chane-Son, Réalisateur du film “Les Points sur les I” en compétition documentaire au Festival DIAM 2023
Comme chaque année le festival DIAM (Des Images Aux Mots) met en avant des œuvres cinématographiques LGBTQIA+. Le réalisateur Frédéric Chane-Son a fait le déplacement au cinéma l’ABC pour présenter son film « Les Points sur les I », sélectionné en compétition documentaire. Après le débat, Il nous a accordé une entrevue.
Gilles Alonso a composé la bande originale de votre deuxième court-métrage « Rose et Molletonné » et c’est lui qui est aussi en charge de la bande originale de votre film « les points sur les I ». Une nouvelle collaboration indispensable ?
Oui, parce qu’au fil des collaborations, on a appris à travailler ensemble. Il a appris à comprendre ce que je voulais à partir de simples intentions ou de deux-trois mots clés ! Il arrive vraiment à traduire les pensées en musique d’une façon qui me surprend et m’émerveille à chaque fois. Je n’aurais jamais eu l’idée de proposer telle musique sur tel passage alors une fois qu’elle est là, c’est comme une évidence !
Cette complicité dans le travail est extrêmement précieuse. C’était lui qui devait travailler avec moi sur ce film-là.
Dès le début du film, vous indiquez que vous avez découvert le sujet avec ce projet de documentaire. Comment se sont passées les recherches ?
A partir du moment où la Geneva-Pride m’a donné le feu vert pour le film, elle m’a donné un premier contact avec Déborah qui fait partie de l’association InterAction Suisse. Il s’est passé à peu près 3 à 4 mois où on a énormément échangé et où elle m’a redirigé vers des ressources documentaires : que ce soit des articles, des livres et d’autres interviews. Et puis j’ai continué à apprendre tout le long en interviewant des gens dans le cadre du documentaire. Le sujet est extrêmement vaste et complexe.
Ce qui était important pour moi dans cette recherche, c’était de ne pas passer à côté du sujet, ou pire : de proposer un film qui tombe à côté de la plaque et qui finalement ne sert à rien. Il fallait que le film permette d’accompagner, de permettre un pas en avant vers la sensibilisation et vers davantage de droits pour les personnes intersexuées.
Vous utilisez des dessins, surtout la bande dessinée. Pourquoi ce choix ?
C’est arrivé par hasard ! Je parlais un peu autour de moi lorsque j’ai commencé à travailler sur ce film et on m’a parlé du livre « Polly » qui traite précisément du sujet. C’était tellement simple dans l’approche que je ne pensais pas pouvoir faire mieux alors, j’ai décidé d’utiliser directement des extraits du livre.
Pour pouvoir illustrer le film tout en sachant que ça apporterait un regard beaucoup plus sérieux, vu que c’est à destination des enfants à l’origine. C’est une façon d’apporter un regard plus léger, plus abordable car au final les témoignages sont très chargés, très durs. Je crois que le contrepoint sous forme de dessin fonctionne assez bien. On a vraiment le regard très dur de la vie d’adulte et en même temps un regard plus enfantin sur le sujet qui fait passer les choses d’une manière tout aussi efficace.
On peut aussi apprécier des petites virgules humoristiques avec des références à la culture geek, humoristique et même politique. Pourquoi ces choix ?
C’était une sorte de gimmick qu’on retrouvait beaucoup dans les vidéos de youtubeurs. Quelque part, ce sont des choses que je consomme aussi ! Sans trop réfléchir, j’ai eu le réflexe de vouloir essayer de proposer ça comme un contrepoint de soulagement au milieu de tous ces témoignages. Au départ j’en avais mis une ou deux, j’avais fait quelques projections-test pour voir ce que les gens en pensaient et les réactions ont été plutôt enthousiastes. Ça m’a encouragé et j’ai essayé d’en rajouter d’autres, pour que ça reste équilibré tout au long du film.
L’idée c’était vraiment de pouvoir souffler un petit peu, le temps de deux secondes, une sorte de respiration avant de reprendre une réalité si difficile à entendre.
Vous avez dit que votre rencontre avec Déborah a été une « très belle rencontre » et dans le documentaire, a un moment donné, vous dites que vous avez vécu, vous aussi, la peur de cette honte qu’elle a par rapport à son intersexe, mais sous forme de racisme.
Oui, ça nous est tombé dessus la première fois qu’on s’est vu, un peu comme une évidence. C’était lors d’un été à Lausanne, on a pris une glace ensemble et on s’est dit « alors, qu’est-ce qu’on a à raconter concrètement ». En me racontant son histoire, elle me parle de ce rapport-là, celui à son propre corps où elle apprend qu’il ne lui appartient plus, qu’il devient l’objet des médecins en quelque sorte. Il est pointé du doigt comme « dysfonctionnel », comme une « anomalie ». Ce qui fait qu’il y avait vraiment cette dissociation à un moment donné. Et je me suis identifié à ça.
Quand j’étais enfant (je suis d’origine chinoise et réunionnaise), j’ai grandi en France et a aucun moment mes parents ne m’ont prévenu que j’étais différent. Ils n’avaient pas à le faire bien sûr. Et ça a été extrêmement violent pour moi d’entendre des choses comme « sale chinetoc, sale étranger, retourne dans ton pays » alors qu’à aucun moment mes parents ne m’ont dit « tu n’es pas dans ton pays ».
Administrativement, ça reste mon pays malgré tout. Je n’avais pas les codes pour comprendre et déconstruire ça. Ce qui fait que je l’ai vraiment vécu de la même manière que si j’avais fauté quelque part, sans trop savoir pourquoi.
C’est beaucoup plus tard avec le temps que j’ai développé un regard différent dessus. Les personnes intersexuées, c’est un peu la même chose, dans le sens où elles se sentent coupables de quelque chose qu’on ne leur explique pas, si ce n’est sous la forme de diagnostics médicaux. C’est en quelque sorte « leur faute » si elles sont « comme ça » alors que ce n’est pas le cas !
C’est vraiment ce point d’accroche qui a été le fil conducteur tout au long de notre rencontre et du film. J’ai essayé de conserver ce curseur-là en permanence tout en me disant que c’est ce qui me permettrait d’en parler de manière juste.
La façon dont vous en parlez est aussi dure que légère, notamment avec le témoignage de Som qui est très compliqué.
Ce qui m’a profondément bouleversé, c’est que c’est quelqu’un d’extrêmement lumineux, de doux et plein de joie de vivre. Quand il me raconte son parcours, les mots viennent de façon naturelle, sans dramatisation ni misérabilisme. Pourtant quand on entend son histoire, on se dit : « Quelle force intérieure l’habite pour qu’il arrive à surpasser ça, malgré tout » ?
Il y a des mots très forts comme « violation des droits humains », « désordre », « anomalie ». Quand vous entendez des mots comme ça, qu’est-ce que ça vous fait au fond de vous ?
Ça me fait extrêmement mal qu’on puisse avoir un système qui maltraite les gens de façon aussi ouverte, en les qualifiant d’anomalie qu’il faut rectifier ! Avec ce genre de base, comment est-ce que vous voulez qu’on développe un regard bienveillant ou ouvert sur la question ? La médecine reste une référence pour beaucoup, puisque que c’est une institution qui accumule du savoir depuis des siècles. Il y a une sacralisation autour de la médecine, et on ne peut pas discuter son savoir.
Avec cette responsabilité-là, je m’attendais à ce qu’il y ait une approche beaucoup plus humaine, notamment dans la compréhension de l’autre et dans la prise en compte de ces paramètres de vie. Comment ces gens, sur lesquels on a pratiqué des opérations se sont développés par la suite, et qu’est-ce qu’on peut faire pour améliorer nos pratiques à partir de leurs témoignages.
Alors que non, on n’en parle qu’au travers de termes médicaux. C’est extrêmement lourd et stigmatisant. Ça m’a fait beaucoup de mal. Surtout qu’étant en partie de la communauté LGBTQIA+, je suis très sensible à ces questions-là. Il y a tellement de travail à faire.
Malgré tout le travail qu’on a réussi à faire, ça m’a ramené en arrière en me disant « il y a encore tout ce travail-là à faire ». C’était effectivement très dur.
Pour finir, une question sur les citations sur fond noir clamées : « mon corps est magique, mon corps n’est pas un désordre ». Est-ce que ces proclamations de l’âme sont votre message ?
Oui, je ne sais pas s’il y avait besoin de le préciser dans le film, mais j’avais besoin de cette affirmation-là. D’autant plus que les voix qu’on entend sont des voix de personnes intersexuées. Déborah avait fait ce court métrage de 10 minutes dans lequel les personnes apparaissaient à visage découvert, je me suis dit que ça ne les dérangerait pas si je prenais juste leur voix. J’aurais voulu les rencontrer. Malheureusement, on était vraiment trop pris par le temps, je n’en ai pas eu la possibilité. A un moment donné, j’ai juste choisi d’utiliser leur voix pour qu’ils fassent partie intégrante du documentaire.
J’avais envie que ce message de fierté, de revendication soit porté par des personnes intersexuées. Ce n’était pas à moi de le dire mais bien à eux. Oui, c’est définitivement le message que je cherche à porter avec ce film.
INFORMATION ET RÉSERVATION
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Interview en duo de Tiphaine Lemenn et Vanessa Archambault