interview – Suggestion de lecture : Kouamé, l’homme revenu des ténèbres.
L’été est toujours la période idéale pour lire tout en se détendant au bord de la piscine, à la plage ou simplement au frais dans votre jardin. Comme chaque été nous vous conseillons plusieurs lectures et nous débutons par ce jeune auteur de « revenu des ténèbres », Kouamé, 20 ans, au passé douloureux. De l’assassinat de ses parents jusqu’à son arrivée en Europe, il vit aujourd’hui à Toulouse. Entre son combat pour le respect des migrants et son association. Rencontre avec un jeune homme plein d’espoir et d’ambition pour son pays.
Kouamé a la parole, et on l’écoute, mais il parle également pour tous ceux qui sont dans le silence.
Comment est venu le projet de faire un livre ?
Au début ce n’était pas un livre, c’était une lettre à dieu. Je voulais quitter ce monde parce que le KITF m’avait donné l’obligation de quitter le territoire français. J’ai commencé à écrire mon histoire, un de mes professeurs en a entendu parler et c’est devenu un livre. Il m’ont aidé à corriger les fautes.
Quels sont tes objectif aujourd’hui ?
J’ai reçu tellement d’aide dans ma vie que j’ai envie d’aider les autres à mon tour. J’ai fait des conférences avec les jeunes en Afrique et j’ai vu que la solution est là-bas, pas ici. J’essaye d’expliquer à ces jeunes la situation en France. Quelque chose m’a choqué lorsque je suis arrivé, il y a des africains, des étudiants qui savent que le SMIC en France, c’est 1200 euros. Cela fait 800.000 Francs CFA, l’équivalent du salaire d’un fonctionnaire de haut niveau. Quand ils entendent ça, ça les fait rêver ! Il faut quelqu’un pour leur expliquer que dans le SMIC, il y a le loyer, les charges… et à la fin, voilà ce qu’il te reste.
Peux-tu nous parler de ton association?
Déjà, mon association a pour objectif de venir en aide aux jeunes en Afrique pour cultiver la terre. Deuxièmement, il faut favoriser l’éducation. J’ai visité des écoles où les élèves sont 80-90 par classes, il faut réduire ! En France on était 12 en classe quand j’ai passé mon examen en CAP. Troisièmement, la santé, il y avait le centre de santé complètement dégradé, j’ai fait tout mon possible pour le réaménager. Quatrièmement, apporter l’eau potable à la population. […] J’ai travaillé avec Guy Tramier, il m’a donné des pistes et m’a aidé à lancer l’association. Lui-même travaille dans des associations depuis longtemps.
Quelle a été ta première impression lorsque tu es arrivé en France ?
Lorsque je suis arrivé, j’étais content parce que quand je parlais, les gens pouvaient m’entendre. Honnêtement, j’ai été bien accueilli. Dès le premier jour ils m’ont mis à l’hôtel, je me disais « ça va », je suis arrivé dans un pays où on parle des droits de l’Homme etc. J’avais déjà bonne image de la France avant d’arriver parce qu’on étudie l’histoire de la France à l’école primaire. Et après j’ai vu que c’e n’était pas facile, j’ai vu le côté opposé et cela m’a bouleversé. Le 30 juin 2016, le KITF m’a annoncé qu’ils voulaient m’expulser, c’est ce qui m’a bouleversé et poussé à écrire ce livre.
A chaque fois que tu arrives dans un pays tu as l’impression que tu vas rester, que ce soit en Libye, en Algérie, au Maroc ou en Espagne. Qu’est ce qui t’as fait rester en France, et à Toulouse particulièrement ?
Le destin. Vous savez, je le dit, le destin est une feuille vierge, et il faut y noter quelque chose. Je ne vais pas vous mentir, je n’ai jamais rêvé un jour être à Toulouse. Lorsque je suis arrivé en Espagne, je voyais que j’avais du mal à m’exprimer et moi franchement je ne suis pas quelqu’un de timide, il faut que je m’exprime ! Lorsque j’étais à Madrid, mon objectif était d’aller à Bordeaux. Quand je suis arrivé, il y avait un monsieur qui jouait de la guitare, il allait à Toulouse, je lui ai dit : “Toulouse c’est en France ?” Il m’a dit oui. J’ai dit : C’est bon, je m’en vais à Toulouse. Après je suis resté à Toulouse parce je n’avais plus d’argent. Il devait me rester 1 euro, donc je ne pouvais plus changer de destination.
Il est arrivé tellement de choses dans ton parcours, comment as-tu fais pour ne jamais lâcher ?
Vous savez, moi-même mon parcours m’étonne. Je vous le dis sincèrement, parfois je m’assois et je me demande comment j’ai fait pour m’en sortir. J’avais peur, tout ce que j’avais en tête, c’était de ne pas me faire assassiner. C’est ce qui m’a poussé à arriver jusqu’en France. Je n’avais rien à perdre puisque j’avais tout perdu, tout ce qu’il me restait c’était d’aller de l’avant.
Les retrouvailles avec ta sœur ?
J’étais là-bas l’été passé. Quand j’ai vu ma sœur c’était le paradis pour moi. Aujourd’hui, je vis pour elle. J’ai une nièce, c’est le bonheur total ! Il n’y a pas de mots pour qualifier ce bonheur, vous ne pouvez même pas imaginer. Lorsque ma sœur se fâche contre moi, quand elle commence à m’engueuler, je suis fier, parce que c’est ma sœur. Elle est très contente de l’engagement que j’ai pris. Mon père était un politicien et elle me voyait un peu faire de la politique. Moi, j’ai décidé de faire de la politique autrement à travers le social. Elle est très contente que je n’aille pas exactement dans la même démarche que mon père.
Quel est le métier que tu aurais aimé faire ?
Professeur de maths. J’ai toujours dit, en mathématiques, 1+1=2. Vous partez en Chine, 1+1=2 aussi. Les mathématiques c’est universel.
J’imagine que tu t’intéresses à la politique, que penses-tu de la politique migratoire en France ?
Lorsque je suis le débat politique à la télévision, je suis tout seul dans mon salon, mais je râle ! On ne peut pas construire un pays avec la haine. Dans la vie, si vous voulez avancer, il faut construire avec l’amour. Les hommes politiques à la télé, ils sont écoutés ! Avant de dire quelque chose, ils devraient se dire qu’il y a des enfants qui les écoutent. Tôt ou tard, nous ne serons plus dans ce monde et ces enfants, qu’est ce qu’ils vont devenir ? On peut pas passer notre vie à diviser. Le mot “migrant” par exemple, je le dis, avant d’être européens, français, espagnols, allemands, ce sont tous des êtres humains !
Aujourd’hui, quel est ton rêve?
Mon rêve aujourd’hui c’est de donner. Quand je donne quelque chose aux gens, je reçois presque plus de bonheur qu’eux. Je profites aujourd’hui de ce bonheur. Le bonheur c’est comme un parfum : vous le mettez sur vous et c’est les autres qui en profitent en respirant. A travers l’association, l’eau potable, le centre de santé, l’agriculture.. Je mourir mais je sais que tout cela va rester. Vous voyez ça, ça me rend vivant.
Revenu des ténèbres, Kouamé, Editions Pocket, 185 pages, 6,95 euros.
Merci
Mais avec plaisir. Et si vous avez des lectures à nous conseiller, on se fera un plaisir de les partager.