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Entrevue du réalisateur Fernando Trueba de « L’oubli que nous serons » et de l’auteur du roman éponyme Héctor Abad Faciolince invités du Festival Cinélatino et du Gaumont Wilson à Toulouse

Tout au long du festival Cinélatino nous avons pu découvrir ou revoir des films et rencontrer des acteurs, réalisatrices et réalisateurs. Samedi dernier, après avoir visionné le film « L’oubli que nous serons », nous avions rendez-vous avec son réalisateur Fernando Trueba. Mais il n’est pas venu seul, Héctor Abad Faciolince l’auteur du roman, le fils du personnage principal du film Héctor Abad Gomez était aussi présent.

Bonjour Fernando merci beaucoup d’être venu présenter votre film « L’oubli que nous serons » au Festival Cinélatino. Et merci aussi à vous Héctor Abad Faciolince d’avoir écrit ce très beau livre et d’être venu à Toulouse.

Fernando et Héctor : Merci à vous et au Festival Cinélatino de nous recevoir.

Votre film Fernando est adapté du livre d’Héctor. Comment avez-vous découvert cet ouvrage ?

Fernando : Je l’ai découvert à sa sortie. Je l’ai acheté après avoir lu deux articles qui m’avait donné envie de le lire. Mais je ne l’ai pas lu tout de suite. Ma femme l’a lu avant moi, elle pleurait tout le temps en le lisant. Un jour je rencontre au Mexique Héctor. C’était la première fois que je le voyais de ma vie et je lui ai dit « Ma femme adore ton livre. Je l’ai sur mon chevet depuis quelques mois mais je ne l’ai pas encore lu. Excuse-moi car j’ai honte de te rencontrer ici sans avoir lu ton livre ».

Quand je suis rentré à Madrid, la première chose que j’ai fait ça a été de le lire. Mais ça, c’était à l’époque de la parution du roman. J’ai adoré le livre. J’en ai fait cadeau à tellement de gens dans différentes langues et différents pays, en commençant par ma mère. C’est devenu un peu un livre faisant partie de ma vie. Quelques années après, j’ai donné le livre aussi à Javier Camara, un jour qu’il partait en Colombie pour tourner « Narcos » (Netflix). Je lui ai dit « Ah, tu vas en Colombie, il faut que tu lises ce livre ». Je lui ai donné celui que j’avais à la maison.

Héctor : Il faut dire que quand j’ai rencontré Fernando au Mexique, il n’avait pas lu le livre, en revanche j’avais vu un de ses films avec l’acteur argentin Dàrin. J’ai dit à Fernando : « Dàrin ne savait pas monter à cheval dans ton film » (rires collégiaux). En fait, j’avais vu tous les films de Fernando.

C’est pour ça que vous lui avez proposé d’adapter « L’oubli que nous serons » ?

Héctor : C’est un producteur colombien qui m’a proposé d’adapter mon livre en film pour le cinéma, j’ai tout de suite pensé à Fernando parce que je m’entendais bien avec lui. Le courant est passé très vite entre nous. Même si, comme Fernando à un strabisme, je ne savais pas quand je lui parlais s’il me regardait ou s’il ne se préoccupait pas de ce que je disais. Je ne savais pas aussi s’il me parlait ou s’il s’adressait à une autre personne (rires collégiaux).

Fernando : Héctor m’a écrit pour me parler du projet d’adapter son roman en film. Ma première réaction fut de lui dire que ce n’était pas possible de faire un film d’un tel livre. En plus je pense que j’aimais trop le livre pour vouloir que quelqu’un et même moi en face un film. Vous connaissez la blague de la chèvre ?

Non, mais je veux bien l’entendre.

Fernando : C’est deux chèvres qui fouillent dans les poubelles pour manger. L’une d’elle tombe sur une bobine de film et la mange. L’autre lui demande « C’est bon » ? Elle lui répond « J’ai préféré le livre » (rires collégiaux). Alors, je ne me voyais pas adapté le livre d’Héctor et pourtant je l’ai fait !

Dans le film, il y a des passages en noir et blanc et d’autres en couleurs qui ne correspondent pas à l’ordre du temps vu que l’enfance est en couleur et la vie adulte du fils en noir et blanc. Pourquoi ce choix ?

Fernando : J’ai fait le film comme je le voyais dans ma tête avant de le tourner. Je ne travaille pas par raisonnement mais avec le cœur. Quand tu fais du cinéma tu dois suivre ton film là où il t’emmène comme le courant d’un fleuve. Je l’ai vu comme ça pendant des mois et je me suis dit qu’il fallait que j’en parle avec le producteur même s’il m’avait donné carte blanche cela pouvait affecter la vision du film. J’ai pris mon courage à deux mains et je l’ai dit à la production en présence d’Héctor. Ils m’ont regardé en me répondant « Tu fais le film comme tu veux, comme tu le sens au fond de toi ». Et j’ai réalisé que j’avais la chance d’avoir de tels producteurs qui me laissait entièrement libre de mes choix.

Il y a une scène parmi d’autres qui m’a touché c’est celle où on montre Héctor le fils qui jettent des cailloux sur des vitres de la maison de juifs. Dans le livre ça ne se passe pas de la même façon vue que son père le voit faire et le réprimande. Alors que là, ils sont tous à la maison entrain d’écouter Martha chanter et jouer de la guitare et d’un coup le téléphone sonne et on voit le visage du père quand il apprend la nouvelle passer de la joie à l’incompréhension. Pourquoi cette modification ?

Fernando : Un moment donné j’oublie le livre et le scénario et j’oublie tout parce qu’il te faut créer des images et des scènes. Pour moi c’était une scène très intéressante dans le sens, si on peut dire « Hitchcockienne ». Quelque chose se passe et parallèlement il y a deux personnages qui ont un secret. Un moment le fils a un secret, il le partage avec son père. Le garçon sait qu’il est en danger parce que son père l’a découvert (rires collégiaux). Autour d’eux il y a toute cette fête, les chansons, la famille… C’était un moment cinématographique très intéressant. J’aime quand il y a plusieurs choses qui se passent en même temps et qu’on ne peut pas tout voir la première fois. Il faut regarder le film plusieurs fois pour voir chacune des actions et aussi les détails qui se cachent dans la scène. Ce film parle d’un père et de son fils mais aussi d’une famille pleine de femmes. J’ai eu un plaisir énorme à faire plusieurs scènes où il se passe plein de choses et que chaque personnage à sa propre vie de pouvoir dire : « Regarde ce que la petite est entrain de faire. Oh la mère a un regard sur ce personnage ». Je trouve que c’est beau de faire du cinéma et de faire ces tableaux vivants. J’adore cette scène en particulier, c’est mon moment Hitchcock (rires collégiaux).

Héctor : Je veux juste dire que ce que montre Fernando dans le film est beaucoup plus fort que ce qui s’est passé dans la réalité. Il n’y avait pas de culpabilité, je ne m’en souviens pas. En revanche, Fernando en a fait de l’art avec cette scène de fête de famille. Au fond la réalité importe peu. C’est la manière de le faire qui est importante et à travers la scène qu’à tourner Fernando elle a encore plus d’intensité. Monsieur Malevitch qui habitait dans cette maison vit toujours. Il habite maintenant en Israël et je lui envoie régulièrement mes livres dédicacés.

Héctor : Nicolas Reyes incarne Héctor Abad fils, enfant. Comment avez-vous découvert cette petite pépite d’acteur ?

Fernando : Ah, je vais te raconter comment je l’ai découvert. On avait commencé le casting à Medellín et Héctor m’a dit : « Il y a un garçon qui est camarade d’école du fils de ma femme et j’aimerais que tu le voies car il me plait bien tout comme sa personnalité. Je voudrais savoir ce que tu en penses ». Je lui ai répondu : « D’accord il faut le faire venir quand je fais le casting des enfants pour le voir avec tous les autres ». Quand Nicolas Reyes est entré je me suis dit : « C’est lui » ! En même temps je ne voulais pas arrêter le casting, il fallait voir tout le monde. Mais le directeur de casting m’a regardé, il a vu ma réaction face à Nicolas et m’a dit : « Ce sera difficile à surmonter ». Effectivement Nico a fini dans le film. Celui qui a découvert Nicolas, c’est l’auteur (rires collégiaux).

Et vous Héctor, quel a été votre réaction en voyant ce petit garçon vous incarnez enfant ?

Héctor : Ce qui était formidable avec Nicolas Reyes c’est que l’un et l’autre on s’appelait l’alter égo. Nicolas Reyes n’était pas un acteur il avait juste fait des publicités.

Fernando : Juste une seule publicité !

Héctor : En plus (rires). C’était incroyable de voir comment Fernando dirigeait Nicolas. Il n’en a pas fait un enfant qui jouait l’acteur d’un petit garçon mais il en a fait ce petit garçon redonnant vie à mon enfance. Cependant, je ne sais pas comment il a fait ça car Fernando dirigeait Nicolas à l’oreille. Il a produit le miracle d’un enfant qui joue de manière miraculeuse.

Javier Cámara incarne Héctor Abad Gomez un homme dévoué à son devoir mais aussi à sa famille. Comment est-il devenu l’acteur principal de votre film ?

Fernando : Javier Cámara avait adoré le livre. Il l’a beaucoup touché car il allait devenir père et il a souligné beaucoup de phrases du livre. Il pensait que c’était un roman qui lui disait comment élever ses enfants. Quand Héctor ma parle de ce projet par email il m’indique qu’il y a un acteur espagnol qui lui rappelle beaucoup son papa. C’est vrai qu’il y avait une ressemblance très forte entre Héctor Abad Gomez et Javier Cámara. Je trouvais dommage qu’il n’était pas colombien car il fallait un acteur de Colombie pour incarner le personnage et la production avait le même avis. J’ai commencé à faire le casting total du film. J’ai vu des acteurs colombiens très doués mais il manquait quelque chose. Javier avait cette joie cette force du personnage il ne lui manquait que l’accent qui l’a fait à la perfection. Il avait beaucoup d’enregistrement d’Héctor père et Javier a pu les étudier et se fondre dans le personnage.

Héctor : J’avais rencontré Javier Cámara une fois et je lui avais demandé une photo pour mes sœurs. Et quand il m’avait demandé pourquoi, je lui ai répondu que c’était parce qu’il ressemblait à mon père décédé et que ça leur ferait plaisir. C’est vrai que je n’ai pas hésité à dire à Fernando qu’il était parfait pour le rôle vu qu’il souriait tout le temps comme mon père.

En parlant de sœurs, vous avez surement dû faire un casting pour les filles et la mère qui entourent avec brio les deux Héctor. Elles apportent chacune quelque chose. Je voudrais juste parler de Kami Zea qui incarne Martha avec une incroyable aisance et qui mêle brillamment jeu et chant.

Fernando : Martha était un personnage très important. En faisant le casting je me disais « Cette actrice je vais lui faire faire un essai pour ce rôle ». Quand j’ai vu Kami Zea à Medellín c’était immédiat j’ai dit : « C’est elle qui me faut pour Martha ». Et cela avant même de faire le casting, mais je l’ai fait quand même car je me méfie de mon opinion (rires collégiaux). Et pendant son essai, j’ai senti comme avant, que cette fille était spéciale. Kami avait une personnalité unique et un grand et étrange talent. C’était son tout premier film. Mais elle avait la vocation, elle voulait être actrice et ça a été incroyable de travailler avec elle.

La famille d’Héctor a mis à ma disposition toutes les photos de famille et celle de Martha. Il y avait des photos qui avait été prise quand elle était déjà malade où elle est toute seule à la maison, assise dans le salon ou la cuisine. Je pense que certaines ont été prise par l’un de ses fiancés. Ses photos me poursuivaient. J’avais toutes les photos dans des dossiers et de temps en temps j’ouvrais celui de Martha. C’est comme si ses photos me parlaient au point que j’ai eu besoin de faire une scène qui n’était pas prévu au scénario. J’ai donc demandé à Kami de faire cette scène qui est la scène finale de Martha. C’est fou mais j’ai l’impression par les photos que c’est Martha qui m’a demandé de faire cette scène (rires collégiaux).

Héctor : C’est une très belle scène qui m’a vraiment touché. Merci beaucoup Fernando. Kami Zea a su incarner ma sœur Martha et je la remercie pour ça.

C’est très beau et c’est une scène très émouvante. J’imagine Héctor que vous avez déjà vu le film ?

Héctor : Oui, la première fois que je l’ai vu c’était à Madrid. Si on peut dire que je l’ai suivi parce que j’étais sous le choc en voyant le résultat du travail de Fernando. Je ne pouvais penser à rien à ce moment-là ni parler. J’étais avec Fernando et sa productrice Christina et je ne me souviens pas de ce que j’ai pu dire car j’étais complètement abasourdi. Après je l’ai revu en famille à Medellín lors d’une projection privée. Il y avait mes sœurs, ma mère âgée de 95 ans, les petits-enfants. Mais aussi quelques acteurs du film comme Nicolas Reyes. Là enfin, j’ai pu vraiment voir le film et me rendre compte que c’était plus qu’un film : c’est une œuvre d’art !

C’est un véritable cadeau que vous nous offrez Fernando avec ce film qui retrace l’histoire d’un homme père et médecin vu par les yeux de son fils qui l’aime plus que tout. Est-ce qu’il y a un message ou juste cette envie de mettre en lumière un pan de vie d’Héctor Abad Gomez.

Fernando : D’abord c’est Héctor qui m’a fait ce cadeau de me demander d’adapter son livre. Il m’a donné l’opportunité de faire un film qui fait passer de nombreuses émotions, de tourner en Colombie et de découvrir tellement de choses dont des endroits que son père connaissait très bien. Il m’a accueilli dans sa famille et j’ai pu échanger avec chaque personne ce qui a nourri le scénario et le film. Il m’a donné son amitié et j’en ai une profonde pour lui. Cinématographiquement ça a été vraiment une incroyable expérience.

Après je n’ai pas de message mais cette envie de toucher les gens et de leur donner beaucoup d’émotions et de sensations. Vanessa, le film doit être quelque chose qui te fais voyager, te fais rêver, te fais aimer les personnages et aimer la vie. Le livre d’Héctor était si plein d’émotions et d’amour qu’essayer de faire un film qui était autant d’amour et d’émotions qu’il y avait dans le livre était déjà un merveilleux défi. Le plus beau dans des films c’est quand les mots « Action » et « Coupez » on fabrique la vie même pour quelques secondes. Tu dois faire plusieurs morceaux de vie, les mettre ensemble et orchestrer tout ça pour que ça donne un film après le montage. J’ai adoré donner vie à cette famille du film. Les voir agir, s’aimer les uns les autres et même souffrir. J’ai adoré faire ça. C’est plus qu’un message c’est une façon de vivre et d’être.

Merci beaucoup Fernando et Héctor. Merci Fernando pour votre film si touchant, comme vous le dites il y a beaucoup d’émotions. On passe du rire aux larmes. On partage ces instants de vie de cette famille et les moments fort entre le père et son fils. Vous m’avez donné envie de lire le livre.

Fernando : Merci à vous et à mon ami Héctor.

Héctor : Merci pour l’interview et bonne fin de lecture (rires).

Le film « L’oubli que nous serons » est actuellement au cinéma depuis le 09 juin 2021 en version originale sous-titré. Vous pouvez le voir entre autres, au Cinéma Gaumont Wilson de Toulouse.

Je vous le conseille fortement pour sa poésie, sa mise en scène, ses acteurs, cette merveilleuse plongée dans la vie d’une famille où l’amour est parole de foi. Un regard doux et amoureux d’un fils pour son père.

Vous pouvez aussi découvrir le roman (biographie romancée) d’héctor Abad Faciolince disponible à la Fnac, Amazon, en ligne ou dans les magasins. Que vous le lisiez avant ou après le film n’a peu d’importance.

Bonne lecture et bon film ou inversement !

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